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vendredi 8 août 2008

Les espaces de discussion de rue à l’épreuve du changement social. Les habits neufs de la Sorbonne d’Abidjan.


Depuis la mi juin 2008, une animation particulière anime la Sorbonne d’Abidjan. Des menuisiers, des maçons et d’autres manœuvres réaménagent l’espace. La démolition annoncée s’est muée en une harmonisation de la Sorbonne avec son environnement.

Les raisons de la réhabilitation

La Sorbonne d’Abidjan mène ses activités dans la commune du Plateau. Localisée au cœur du District d’Abidjan, le Plateau couvre un espace de 394 ha communément appelé « langue de terre » du fait du front lagunaire (ébrié) qui entoure ses flancs Est (baie de Cocody) et Ouest (baie du Banco). Après avoir abrité l’administration coloniale en 1934, le Plateau est devenu avec les changements socio-culturels et politiques, le centre de la vie politique, économique et sociale de la Côte d’Ivoire. La commune du Plateau compte 18.441 habitants et se distingue par son architecture et ses activités. Les nombreux buildings abritent les bureaux des ministères, les directions centrales et générales, les banques, les délégations diplomatiques, les agences et les galeries commerciales. La commune accueille, selon le Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement (BNETD), plus de la moitié de la population abidjanaise (Le District 2001). Le Plateau se caractérise par une inexistence quasi-totale de possibilité d’extension parce que la recherche de logements reconvertis en bureaux ou remplacés par des immeubles spécialisées ont pour effet de concentrer la population en des lieux spécifiques (BNETD 2005).

Dans le cadre de la mise en œuvre de son programme d’assainissement, la mairie du Plateau a commandé une étude d’expertise de la Sorbonne pour évaluer les potentialités d’exploitation de cet espace. Selon un rapport de l’Office National de la Protection Civile (ONPC), «en vue de prévenir les risques éventuels d’incendie, d’explosion et de pollution de toute sorte, la commission spéciale de sécurité incendie émet un avis technique défavorable à l’exploitation des installations précaires et anarchiques réalisées aux abords de ce dépôt qui présentent de graves dangers pour la vie des populations ». La Sorbonne est donc selon la mairie source de menaces potentielles au nombre desquelles l’on compte les risques d’incendie, l’insécurité et les nuisances sonores. L’espace est considéré comme une marque de prolétarisation de l’espace et du paysage de la commune. Elle défigure ce que le maire du Plateau, Akossi Bendjo lui même appelle la ‘’miss des communes’’.

En plus de ces raisons d’ordres environnementaux, se placent l’épineuse et délicate question de l’administration financière mais surtout le problème sensible de l’inclinaison politique de la Sorbonne. Depuis la démolition du marché de la commune, la Sorbonne a « récupéré » la plupart des commerçants qui y exerçaient. A ceux-ci se sont ajoutés certaines personnes déplacées du fait de la guerre du 19 septembre 2002. A ce niveau il importe de souligner la fonction paradoxale d’Abidjan. Avant les évènements de septembre, la capitale était redoutée par une grande majorité des populations qui préféraient se concentrées dans les villes de l’intérieur pour réduire les dépenses familiales et extra-familiales. Evalué à 10% en 1985, le taux de pauvreté en Côte d’Ivoire est passé à 32,3% en 1993 et à 34,8% en 1995 pour s’établir à 33,6% en 1998 [1]. Avec la guerre, Abidjan est devenue le symbole du loyalisme, de la résistance, ville-forteresse qui a délogée les rebelles qui tentaient de s’emparer du pouvoir d’Etat [2]. La logique sécuritaire à crée un flux de populations vers la capitale. Le succès des premiers vendeurs attirent de nouveaux commerçants notamment ceux du secteur des NTIC (CD, DVD, VCD, DVix, téléphones cellulaires et leurs accessoires, etc.). Dès lors la mairie commence à s’intéresser à cet espace qui tend à être une véritable source d’entrée de devises. Malheureusement elle peine à y percevoir des taxes. Les tentatives du BURIDA pour aider les artistes à ne distribuer que des « CD stikés » sur l’espace échouent. Selon la direction générale des impôts le manque à gagner de la mairie par rapport à la Sorbonne est évalué à 18 millions de F.CFA [3]. L’argent ne masque pas les enjeux politiques qui opposent la mairie à la Sorbonne. Depuis 1990 l’espace de libres échanges fonctionne comme le cœur de toutes les revendications et contestations collectives populaires qui se construisent ou aboutissent au Plateau. L’adhésion de la Sorbonne au sursaut patriotique en septembre 2002 a complexifié davantage ses relations avec la municipalité [4]. Depuis cette date elle est considéré comme un vecteur perturbateur qui bat le rappel des troupes de tous les « désaffiliés » de la capitale. Ainsi, le maire a relancé son projet d’assainissement pour « contrer » l’hégémonie socio-politique d’un « administré » qui « fait de la résistance » [5].

Les résultats d’un compromis ‘’win-win’’ ?

Le bras de fer entre le maire et les acteurs de la Sorbonne s’est quelque peu assoupli. Ils ont trouvé un terrain d’entente. La Sorbonne a accepté de réduire son niveau de « dangerosité » en réaménageant l’immeuble des 60 logements. Les vendeurs installés en bordure de la route face au jardin public ont été recasés dans des box construit en dur. Ils ont délaissé les étages en bois qui obstruaient la chaussée. La circulation est plus aisée en dépit de l’accroissement de la population de travailleurs sur l’espace. Leur identification est assurée par une immatriculation visible au code qui se situe au linteau de l’entrée. La toiture de fortune (faite de sachet noire tenue par des lames de bois) de la salle VIP est remplacée par des feuilles de tôles. La salle s’est même agrandie pour les « étudiants » qui viennent de plus en plus nombreux écouter les « Professeurs » (orateurs). Des troncs de cocotiers sont venus renforcer les bancs devenus insuffisants. Le chantier se poursuit dans le sens de la « modernisation » de la Sorbonne. Ces acteurs ont gagné le pari de ceux qui ne vendaient pas chère la peau des « Sorbonnards » et des « Sorbonniens ». Par la négociation et l’exercice de la violence effective sur son territoire la Sorbonne a pu se maintenir sans faiblir. Du reste, les orateurs eux-mêmes soutiennent qu’ « en politique on ne fait jamais la passe à son adversaire ». Les transformations auxquelles l’on tente de la soumettre résultent du mouvement général des forces politiques et civiles ivoiriennes elles-mêmes en pleine mutation devant des idéologies protéennes telles que l’occidentalo-atlantisme, les terrorismes, l’asio-africanisme, l’indo-américanisme, l’arabisme, les christianismes, les islams, etc.

Pour l’heure on peut avancer que la Sorbonne est en train d’amorcer une autre phase de son évolution. Elle semble résister ou plutôt s’adapter assez bien aux transformations socio-politiques et technologiques de la Côte d’Ivoire. En témoigne la facilité avec laquelle elle s’est réappropriée les nouveaux produits culturels issus du développement technologique. Les cassettes VHS ont disparu et, les vendeurs qui ne commercialisaient que des CD et DVD en 2003 ont élargi leurs services en s’investissant depuis fin 2007 dans la vente de lecteurs CD et DVD. Les clients qui se plaignaient autrefois de la mauvaise qualité des supports (CD et DVD) ont maintenant la possibilité d’essayer sur place les produits achetés. Ces produits sont même en train de voler la vedette aux autres.

D’autres part les orateurs sensibilisent les travailleurs de la Sorbonne pour se conformer à son nouveau mode de fonctionnement. Ils intègrent bien le changement spatial qui a court à la Sorbonne en dépit d’un attachement à ce qu’ils appellent « leurs anciennes places ». Le mouvement suscité par les travaux de réaménagement appelle une anthropologie spatiale de la Sorbonne. Les déplacements ou déménagements se font par petites cohortes d’individus qui, à première vue ne sont regroupés que par secteurs activités. Ainsi les restaurateurs occupent un espace donné pendant que les couturiers et autres spécialistes du textile sont ailleurs. Le regroupement sectoriel ne gomme pas la vitalité des réseaux sociaux dans les transactions. En dépit de la « séparation », ceux qui ont travaillés ensemble pendant de longues années ont tendance à collaborer plus facilement entre eux qu’avec les autres. Les liens d’amitié et de parenté jouent également un rôle dans la gestion des affaires. Les conflits qui surviennent sont vite maîtrisés par les relations d’ancienneté dit de « doyennat ». C’est d’ailleurs sur cette base que se sont effectué les déplacements. Les plus anciens ont été recasés les premiers et les autres ont suivis après. Durant toute la journée ce sont les expressions « mon frère », « mon vieux », « la tantie », « mon petit » qui meublent une pratique discursive qui laisse transparaître des modes endogènes de gestion des rapports sociaux.

Références

1. DSRP 1992

2. Soro, G., 2005, Pourquoi je suis devenu un rebelle, La Côte d’Ivoire au bord du gouffre, Paris, Hachette Littératures.

3. L’Inter, N° 2977 du mercredi 16 avril 2008.

4.Blé, Goudé C., 2006, ‘’Crise ivoirienne’’. Ma part de vérité, Abidjan, Leaders’ team associated et Frat Mat éditions.

5. Fraternité Matin, N° 13029 du 16 avril 2008.