Ce lundi 23 mai 2011, le journal, proche de l’ancien Président, Laurent Gbagbo est réapparu dans les kiosques. Il signe le retour de l’opposition dans le champ politique ivoirien. Notre Voie : requiem pour un journal Après 53 jours, le journal phare du FPI est à nouveau dans les kiosques à journaux. Dans l’éditorial de sa parution du lundi 23 mai 2011, il fait l’état des lieux des dégâts : « Bon nombre de travailleurs ont vu leurs domiciles pillés. Certains ont été profondément traumatisés et demeurent encore en exil, hors du pays. D’autres bien que vivant en Côte d’Ivoire et même à Abidjan, continuent de se terrer. Depuis le 12 avril, le siège de leur entreprise, fruit de leur sacrifice consenti pierre par pierre depuis 1998, est totalement pillé et vidé de tout le matériel de travail. Les deux rotatives de l’imprimerie de la société ont été incendiées. Même la carcasse de la machine à feuilles destinées aux travaux offset (fabrication de livres, affiches, prospectives, etc.) a été démontée et emportée. Quant au bâtiment lui-même, il est occupé, depuis le 11 avril, par les hommes armés pro-Ouattara qui en empêchent l’accès aux journalistes ». En clair, Notre Voie est un journal sinistré. Il fonctionne en ce moment dans la clandestinité avec un personnel restreint. Et sa ligne éditoriale n’a pas changée. César Etou, le rédacteur en chef par intérim, César Etou le dit « Nous défendrons les plus faibles et les plus exposés. (…) Nous rejetterons les appels à brûler ce qui reste de ce pays défigurer. Nous dénoncerons les exactions qui rendent hypocrites les appels des nouvelles autorités à la réconciliation. (…) Notre Voie encouragera tout appel au « rassemblement » qui vise, avec sincérité, la phase civilisée de la crise ivoirienne. C’st-à-dire la réconciliation et la réinstauration de la démocratie ».
La parution du quotidien du FPI est le fruit de plusieurs efforts conjugués. En constant l’absence du journal dans les kiosques à journaux au lendemain de la crise post-électorale de mars-avril 2011, plusieurs organisations de défenses des droits de la presse et de l’homme sont montés au créneau. L’Union Nationale des Journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI), le Groupement des Editeurs de Presse de Côte d’Ivoire (GEPCI), l’Union Internationale de la Presse Francophone (UPF-Côte d’Ivoire), le Syndicat National de la Presse Privée de Côte d’Ivoire (SYNAPPCI), le Conseil National de la Presse (CNP), le Fonds de Soutien et Développement de la Presse (FSDP), la section Afrique de Reporter Sans Frontières (RSF), le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et l’Organisation des journalistes de l’Afrique der l’Ouest sont des organisations qui ont œuvées pour que Notre Voie survive à la crise.
Ecrire autrement les pages de l’histoire de la presse écrite ivoirienneLe journal Notre Voie a été littéralement « déchiré » et les lambeaux, emportés par ces bourreaux. La mésaventure du journal « bleu » laisse transparaître plusieurs réflexions. La distribution radicale des journaux en deux blocs diamétralement opposés a fait le lit d’une violence qui a creusé la tombe de la presse ivoirienne. De part et d’autre des deux camps qui se sont affrontés (le Rassemblement des Houphouetistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) et La Majorité Présidentielle (LMP)), de nombreux journalistes se sont comportés comme les porte-flingues des acteurs politiques (chefs de partis politiques ou personnes gravitant autour d’eux).
Le parti pris a mis sous l’éteignoir le code de déontologie et l’éthique et a alimenté la sève de la haine qui s’est diffusée dans le corps social à travers les écrits. Les journaux achetés ont fonctionné comme des munitions qui ont nourri et entretenu les rancunes et les rancœurs. Les leaders ont subi les chaudes charges des plumes envenimées : injures, diffamations, exhibitions dans des postures humiliantes, intoxication, manipulation, dissimulation sont les maîtres mots qui ont animés les rédactions et chauffés les esprits à blanc. Ces hommes de presse ont construit la violence préparée, mère de la violence spontanée. Le résultat est là. Cruel. Pour les perdants. En effet, happés par l’infernal tourbillon des démons de la guerre, les journalistes envoutés se sont crus différents des autres, d’eux, de ceux qui respirent, des hommes, des humains faits d’eau, de chair et de sang. Tout simplement vulnérables. Contrairement à eux qui étaient revêtus d’une sorte d’immunité à la fois spirituelle et humaine. Certainement qu’ils ont pensé qu’ils seraient épargnés par les balles assassines et les coups de soldats transformés en machines à tuer pour le contrôle de la capitale. La seule règle pour eux était « Kill or be killed ». Les journalistes ont de ce fait subi eux aussi les effets pervers de la violence généralisée qu’ils ont eux-mêmes contribué à construire et à entretenir. Le matériel de travail de même que les travailleurs sont indifféremment sinistrés. Mais la facture est plus salée à Notre Voie, proche de Laurent Gbagbo.
Les journalistes dits « neutres » ou faisant l’effort d’être impartiaux et équilibrés dans le traitement de l’information ont fait leur travail. Mais le niveau de violence était tel qu’il empêchait toute lecture saine et sereine des évènements. La paix revenue, la presse doit penser la crise pour se situer non seulement dans le processus de réconciliation post-conflit mais surtout pour repenser sa place et son rôle dans la démocratie en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas le lieu de refaire l’histoire de la presse écrite. Mais, il est à souhaiter que la presse fasse un profond travail d’introspection. Dans cette période sensible et volatile comme celle que nous traversons actuellement, le retour aux valeurs cardinales du professionnalisme est un impératif. Et dans ce jeu, les autorités qui sont entourées d’une « armée » de spécialistes de la communication devraient, pour la paix et la réconciliation, tout mettre en œuvre pour qu’une presse équilibrée et juste voit le jour. Et cela passe par la restitution des locaux de Notre Voie et de la réhabilitation de ceux des autres journaux bleus. La traque des journalistes doit cesser autant que les menaces d’attentat à leur vie. La Haute Autorité de la Communication et de l’Audiovisuel (HACA), née des cendres du CNP, a un rôle primordial à jouer dans ce sens. Il s’agit, pour le RHDP, de savoir conserver son équilibre et éviter de sombrer dans les travers qu’il a lui-même dénoncé et combattu farouchement. La liberté de la presse écrite est un important indicateur de fonctionnement de la démocratie dans un Etat. Il est d’autant plus vital que nous nous situons dans une nation qui sort d’une guerre où toutes les bornes rouges des interdits ont été arrachées.
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