Le nouveau gouvernement du régime Ouattara s'installe. Avec lui, l'armée ivoirienne est en train de se construire. Avec d'énormes défis à relever. Au commencement était le feu Le 19 septembre 2002, des groupes armés ont lancé des attaques simultanées sur plusieurs villes de la Côte d'Ivoire. Cette date marque le début de la tourmente dans laquelle se trouve l'armée. Mais, à y regarder de plus près, les hoquets de la grande muette éburnéenne ne datent pas d'aujourd'hui.
Houphouët Boigny avait greffé à la police et aux militaires la gendarmerie pour assurer la stabilité de son régime. En sus, le corps de la garde républicaine veillait soigneusement au fauteuil du "vieux". En bon stratège politique, il a su s'accommoder des sautes d'humeurs de l'armée jusqu'à sa disparition. Il alliait savamment le bâton et la carotte pour calmer les soldats trop bruyants.
L'arrivée au pouvoir du Président Bédié va modifier le rapport du politique au militaire. Soucieux de profiter de "l'héritage" qui venait de tomber entre ses mains, le dauphin constitutionnel d'Houphouët Boigny n'a pas su faire bon ménage avec son armée. A la clochardisation, s'est ajoutée un déficit de communication sinon un manque de regard avisé pour lire dans les soubresauts qui ont suivi son accession au pouvoir les signes annonciateurs d'un mécontentement. C'est ce manque de discernement qui va l'emporter dans le paquetage d'un père Noël sanglé dans un costume militaire. Dans la foulée, de nombreux éléments de l'armée qui ont maille à partir avec le pouvoir s'exilent dans les pays limitrophes.
Laurent Gbagbo va hériter de cette armée composée en grande partie d'éléments frustrés, déçus et exilés. Entre temps, le mortel poison de l'ivoirité savamment transformé en redoutable arme politique fait son effet. Des soldats sont "invités" à prendre conscience de ce qu'ils sont déclassés, méprisés et maltraités. Les médias et une partie de la communauté intellectuelle s'attellent consciemment ou inconsciemment à construire et à entretenir le sentiment d'exclusion. Les "soldats maudits" sont fabriqués à coups d'articles de journaux, articles scientifiques, conférences, colloques, symposiums et ateliers scientifiques. Pendant se temps, sur le terrain de la vox populi, des intellectuels accompagnent des harangueurs de foules dans les rues des quartiers des villes. L'homme solitaire d'Hemingway partage sa lourde froide et chaude solitude avec des populations informées, désinformées, manipulées et instrumentalisées.
Le paroxysme de la fabrication du sentiment d'exclusion va aboutir à la construction d'une armée traversée par des élans de méfiance, de défiance et de revanche. La grande muette éclate et toutes les entreprises pour la ressouder, pour unir les "frères d'armes" sont vains. Trop de querelles ont divisé la famille.
A la fin, le feu ?Le régime des libéraux conduits par Alassane a hérité d'une armée défigurée. Sans visage. Dans les rues, les populations sont face à des groupes armés bigarrés, des bandes "Nzassa" pour parler de façon triviale. Les noms (de ces groupes et de leurs chefs) qu'ils se sont donnés sont évocateurs de la guerre en Côte d'Ivoire. Ils font tous allusion au sang, à la violence, la peur, la bravoure et la terreur. Ainsi on rencontre ces groupes sous appellation de "compagnie guépard", "Tonnerre", "Ben Laden", etc. Pour rassurer on les a appelés Forces Républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI).
En fait, c'est une armée hétéroclite d'anciens soldats de métiers en disgrâce avec le pouvoir de Laurent Gbagbo, les "Zinzins" et "Bahéfouès". A eux se sont ajoutés les dissidents de la crise post-électorale. Cette catégorie est difficile à identifier car, à la réalité, elle regroupe plusieurs soldats qui se sont enrôles à la cause de Ouattara selon l'évolution de la crise en Côte d'Ivoire. Une lecture diachronique permet de détecter la vague des soldats qui, au lendemain de la proclamation des résultats présidentielles de novembre 2010 avec la bicéphalisation de la Présidence se sont ralliés. Ceux qui se sont rangés derrière Ouattara en ce moment ont commencé à se désolidariser de leurs frères d'armes. Discrète et disparate cette catégorie est peu connue. Et ce d'autant plus qu'elle était basée sur la conviction de son porteur. Le ralliement est plus psychologique que professionnel. Par peur de leur intégrité physique ces soldats obéissaient à la hiérarchie sans exprimer leur refus. "Un soldat ne discute pas, il obéit aux ordres" pourrait-on dire.
L'évolution rapide de la situation va construire la catégorie la plus visible des dissidents. Ce changement est lié à l'ouverture des portes de l'Hôtel du Golf. Transformé en QG de campagne du candidat Alassane, il va se muer en "Bunker" pour recevoir les individus en rupture de bancs avec Laurent Gbagbo. En plus des personnalités politiques et les nombreux anonymes qui s'y sont réfugiés, on y retrouve désormais les "déserteurs" de l'armée de Laurent Gbagbo. Le refus d'obéir aux ordres de son supérieur se traduit par une fugue dans l'Hôtel-bastion. De nombreux soldats rejoindront ainsi Alassane dans cet hôtel perçu par le camp adverse comme un "kyste", un "cancer" à enlever. Mais le mouvement d'enrichissement de l'Armée de Ouattara ne se limite pas là. Au contraire, il va s'accélérer.
La "bataille d'Abidjan" va ouvrir le début d'une période d'enrôlement de l'armée ouattarienne. En effet, plusieurs jeunes et vieux, partisans et sympathisants de Ouattara vont rejoindre son armée. Et c'est la ville d'Abidjan et sa banlieue qui va lui offrir son plus gros contingent. Désœuvrés, chômeurs, repris de justice, travailleurs du privé, etc. vont prêter main forte aux anciens éléments Forces Armées de Forces Nouvelles (FAFN) en faction au Golf hôtel.
Le défi majeur de "bravetchè", Alassane Ouattara, est de parvenir à rapprocher ces groupes des éléments de l'ancienne armée (FDS) et à les fondre en une seule entité. Il ne sera pas aisé de réunir ces hommes qui viennent de se combattre, à mort. Les plaies, béantes, sont encore vives. De plus, il faut trouver la perle rare qui saura fédérer tous ces hommes qui pendant un moment ont obéi à des chaînes de commandement différentes idéologiquement et militairement. Alassane risque de se retrouver avec une armée où des ex FAFN vont obéir à leurs commandants de zone quand des ex FDS ne se plieront qu'aux injonctions de leurs anciens chefs démesurés fidèles à Laurent Gbagbo jusqu'à sa chute. Même écartés, les hommes comme Philippe Mangou, Guai Bi Poin et Dogbo Blé continueront d'avoir une forte influence sur leurs hommes. De plus, les traditions des écoles de formation vont fonctionner comme un frein à la fonte de l'armée. Formés dans les écoles militaires locales ou internationale comme Saint-Cyr et West Point, il sera certainement difficile pour les anciens soldats de métiers de s'accommoder de la présence de rebelles clonés et de civils zombités, encore moins d'obéir à leurs ordres.
Même en soldant la question des grades, il reste à craindre la gestion des futurs équipements militaires. A quel moment Alassane saura-t-il que les anciens soldats fidèles à Laurent Gbagbo se sont véritablement "convertis", c'est-à-dire pénétrés de l'idée que la tête de la magistrature suprême à laquelle ils doivent obéir à changé ? De sorte a accepter de leur donner leur dotation en armes. Les indicateurs en la matière sont assez flous et volatils. Pour preuve la plupart d'entre eux ont été désarmés et côtoient des FRCI parfois surarmés. Ils sont affectés, lorsqu'ils sont acceptés, à des tâches purement administratives. A eux, l'on peut ajouter les nombreux éléments des FDS qui, pour échapper à la chape de feu lancée par les FRCI et leurs alliés internationaux, sont en exil. Ils constituent un noyau dangereux dont l'ombre menaçante va toujours planer autour du régime Ouattara. Si, en 2002 Laurent Gbagbo se méfait de l'axe Ouaga-Bamako, Ouattara lui se méfie maintenant de l'axe Accra-Monrovia.
Enfin, l'éternel et épineuse question du désarmement, de la démobilisation et de la réinsertion est encore pendante. Comment calmer cette horde de jeunes qui se sont enrôlés dans le secret espoir d'obtenir un emploi. Surtout que la plupart d'entre eux se sont accoutumés au métier des armes avec tous les privilèges qui s'y rattache.L'entourage est déjà sensibilisé à fréquenter un soldat. Il n'est pas sûr que ces jeunes se débarrassent de leurs attributs militaires si facilement. En témoigne les courses poursuites entre les soldats FRCI eux-mêmes et entre eux et les soldats des Nations Unies et de la Licorne pour désarmer les élements inaptes à exercice du métier des armes. Ces refus finissent parfois dans la violence. De plus, se pose le problème de l'efficacité des mécanismes de réinsertion des anciens soldats. Le PNRRC peut-il, avec ces kits de réinsertion, insérer un individu qui, par la force de son arme a possédé des millions e FCFA et la "gloire" ? Pas facile de répondre à cette question eu égard à la facilité avec laquelle Soro Guillaume a remis en ordre de bataille son armée de soldats pour faire tomber, avec l'appui des forces internationales, Laurent Gbagbo.
Les soldats insuffisamment ou mal réinsérées côtoient une population importante de jeunes à risques avec laquelle, ils ont, lors de la "bataille d'Abidjan" partagés les peines et les joies du front. Les populations auront à côtoyer des individus ou des repris de justice qui maîtrisent parfaitement le maniement des armes et les techniques commando. Cette compétence reconvertie pour le vol et le pillage va contribuer à accroître de manière exponentielle le taux de criminalité en Côte d'Ivoire.
Le régime de Ouattara s'est installé avec le soutien de l'extérieur. Ce "coup de main" militaire pèse comme le péché originel qui menace son pouvoir. Les alliés et amis passeront pour récolter les dividendes de leur soutien. Ils sont multiples et multiformes mais chacun réclamera sa part du gâteau économiquement, politiquement ou militairement. Et les soutiens continuent toujours. Ouattara pourra-t-il refuser des contrats léonins ou des parts de marchés à ses soutiens même si leurs intérêts mettent en péril ceux des Ivoiriens ? En tout cas, il a encore besoin de la Licorne et de l'ONUCI pour consolider son pouvoir. C'est sans doute cette raison qui l'a poussé à réclamer de tous ses vœux le maintien du 43ème Bataillon d'Infanterie de Marine (BIMA) de Port-Bouêt. Les grandes ambitions qu'ils nourrit pour la Côte d'Ivoire ne doivent pas occulter l'impérieuse nécessité d'asseoir une armée forte et indépendante prête à défendre le pays sans avoir à faire ressortir des tiroirs les vieux accords de défense miliaires sans cessent activés et réactivés selon le bon vouloir, et le pouvoir de Paris.Pour l'heure le Dieu Vulcain est à l'ouvrage dans sa grande forge en attendant de livrer aux Ivoiriens le glaive qui la protégera des nombreux chiens de guerre et autres avides de pouvoir.
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