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mardi 6 octobre 2009

« IL FAUT SAUVER LE SOLDAT DADIS » : LE PRESIDENT, LE COMMANDANT, LE MILITANT ET LE REVENANT.


On peut le dire, le 28 septembre demeure une date mémorable pour les Guinéens. Indépendante le 28 septembre 1958, elle plonge dans une violence militaire rare le 28 septembre 2009. Au cœur du dernier évènement : le Capitaine Président Dadis Camara, les opposants et l’armée. Le contrôle de l’Etat prétorien échappe au Capitaine Président.

« Je vais rendre le pouvoir à un civile propre » : le capitaine-lavandier

Le 23 décembre 2008, devant le corps encore chaud du Général Lasana Conté, un jeune capitaine de l’armée Guinéenne s’empare du pouvoir d’Etat. C’est par le canal des médias que les Guinéens et le monde entier découvrent le premier visage de ces jeunes soldats qui ont coupé l’herbe sous le pied des autres prétendants qui lorgnaient secrètement le siège présidentiel. Le capitaine Dadis Camara et ses amis prennent le contrôle du pays verrouillant tous les mécanismes institutionnels de transition en cas de décès du Président. Parlant de ses rapports avec le Général défunt, Dadis confie qu’ « il savait que j’avais des ambitions, mais pas démesurées. Il savait qu’après lui, je serais le premier à bondir sur la prise du pouvoir. Et quand il est mort, je n’ai pas cherché à demander à Pierre ou à Paul, ni à la communauté internationale qui parle maintenant, pour prendre mes responsabilités ». Et en ‘bondissant’ sur le pouvoir, il s’était engagé, au début de ses grandes messes médiatiques, « à rendre le pouvoir à un civile propre ».

Le Conseil National pour la Démocratie et le Développement (CNDD), la junte au pouvoir dirigée par Dadis avais des projets d’adduction d’eau courante, d’électrification et d’amélioration du système de santé a des populations déjà lessivées par le long règne de Lansana Conté. Au point de séduire toute l’opposition politique. L’opposant historique Julius Olympio lui-même avait accordé toute sa confiance aux jeunes soldats. Et c’est en sauveur que les populations les recevaient dans des haies d’honneurs bruyantes.

L’adoubement des militaires a franchi les frontières de la Guinée. Le Président Sénégalais Abdoulaye Wade s’est en effet empressé de féliciter son ‘fils’ Dadis. Il apporte tout son soutien à son protégé en l’invitant à organiser dans les plus brefs délais les élections présidentielles. Mais grisé par le vertige des honneurs militaires, le Capitaine Président manifeste des velléités de troquer le treillis militaire pour le costume présidentiels trois pièces. Comme le général Président Robert Guéï qui a refusé en sons temps de rendre les locaux propres et le balai aux civiles en Côte d’Ivoire, le capitaine rechigne à rendre le linge qu’il a lavé aux Guinées.

« Ma candidature dépend du peuple » : Jeu de bottes, jeu de vilains à Conakry

Les hésitations du Président Dadis à se retirer agacent les populations et la communauté internationale. Face à la pression générale il profère des menaces. « Moi, je suis imperturbable. D’ailleurs, je ne me suis pas encore déclaré candidat. Non pas, parce que j’ai peur de la communauté internationale. Pas parce que j’ai peur aussi des leaders politiques. Mais je suis en train de suivre mon peuple ». Mais ce peuple qui le suit paiera le prix de son projet de réclamer son départ du pouvoir. Le 28 septembre dernier, une manifestation de l’opposition pour empêcher la candidature éventuelle de Dadis est violemment réprimée par les miliaires. Elle avait été préalablement interdite par la junte. Le bilan est lourd. Une arithmétique macabre divise les acteurs et les observateurs de cette crise. Les organisations de la société civile dénombrent 157 décès quant la junte en déclare 57. A côté des morts de nombreux blessés et des femmes victimes de violences sexuelles sont identifiées. Les blessés sont poursuivis dans les hôpitaux d’où ils sont extraits pour des destinations inconnus. Les morts eux-mêmes n’échappent pas à la furia des bérets zélés. Ils sont ‘enlevés’ des morgues et des artères de la ville par des croque-morts en treillis militaires.

Les soldats poursuivent leur sale besogne jusque dans les quartiers où les ratissages font également des victimes parmi les populations. Les domiciles sont fracturés et les locataires délestés de leurs biens. Sans défense, les Guinéens revivent pendant quelques jours, les souvenirs douloureux des exploits d’un certain ‘Coplan’ chargé de restaurer l’autorité de l’Etat du vivant de Lansana Conté avec une cohorte de soldats déchaînés. On a encore en mémoire les images de ces soldats transformés en pilleurs, des Highlanders vivant en tuant.

« Dire que je contrôle l’armée serait de la démagogie » : requiem pour un putschiste

Les images des victimes du 28 septembre ont incité Dadis à initier la mise en place d’une commission d’enquête internationale en rapport avec l’ONU. Selon un communiqué officiel « Au nom du peuple de Guinée, et suite aux évènements douloureux du 28 septembre, le CNDD et le gouvernement expriment leur compassion aux familles des victimes et demandent (…) la désignation d’un sage président africain pour la médiation en Guinée et la mise en place d’un gouvernement d’union nationale intégrant l’ensemble des partis politiques chargé de gérer la transition ». Le mercredi 30 septembre et le jeudi 1er octobre sont déclarés « journées de deuil national ». Ces mesures ne semblent pas apaiser l’ire de l’opposition et la volée de bois vert que l’Union Africaine et l’Union Européenne projettent d’asséner à la junte. Les condamnations continuent de s’abattre sur les putschistes. Le Président se retrouve également en face de revenants qui très certainement vont troubler son sommeil pendant longtemps. Il vient de fabriquer des martyrs pour l’opposition qui n’hésitera pas à se servir de ses morts pour l’affaiblir ou le débarquer du pouvoir d’Etat.

Cet épisode de violence militaire en Guinée traduit en réalité les rapports complexes que l’armée entretient avec le corps social. Depuis longtemps ce pays a entamé un lent processus de clochardisation et de bandisation de son armée. Les soldats se plaignent régulièrement de soldes qui ne couvent pas leurs besoins. Le racket seul ne suffit plus à arrondir les fins de mois et, avec le temps, les soldats se sont transformés en bandes de bandits de grands chemins. Les revendications corporatistes débouchent très vite sur des pillages qui sont tolérés par le pouvoir en place. Tout se passe comme si un deal leur permet de « se rattraper » légalement.

Toujours prête à en découdre violemment avec les populations, l’armée guinéenne n’est pas encore délivrée de ses vieux démons. Depuis le Président Sékou Touré, elle affiche clairement ses intentions de ne pas se limiter à protéger les institutions de la République. L’armée est dévorée par le désir de posséder, pour elle seule, le pouvoir. Depuis 1989, le contexte socio-politique de l’Afrique de l’Ouest fonctionne comme un moteur qui entretient cette situation. Cette région est traversée par des guerres gigognes. Les conflits armés se déplacent d’une aire géographique à une autre dans le même espace régional. Derrière elle, se constituent des hordes de mercenaires dont la transhumance est facilitée par les liens séculaires culturelles (ethnies, alliances à plaisanteries, coutumes) partagées par des peuples dispersés dans des pays différents. Ainsi, en plus des motivations pécuniaires, les mercenaires sont parfois mus par des logiques sociales qui se déclinent dans des rivalités et des vengeances entre des groupes sociaux et armés déterminés.

La spirale de conflits a facilité la circulation des armes et une modification de la structure de l’armée guinéenne. Entourée par des pays en conflit Lansana Conté à bunkerisé son pays en recrutant à tour de bras des soldats prêts à protéger son pouvoir contre d’éventuelles attaques venues des voisins. En recrutant lui-même parfois des mercenaires pour renforcer ses effectifs ou en se procurant des armes. Les querelles de génération dans l’armée complexifient davantage la situation. Les jeunes soldats fraîchement sortie des écoles de formation sont bloqués par des anciens (de l’époque de Lansana Conté) nourris par le clientélisme et la corruption. Ces jeunes gens supportent difficilement l’autorité de ces aînés.

D’autre part, la circulation des biens et de personnes sur l’axe des deux Guinées ouest africains a des répercussions sur la Guinée. Comme la Guinée-Bissau, la Guinée est devenue une plaque tournante de la drogue en provenance des pays d’Amérique Latine. Des cartels locaux sont soutenus par de gros trafiquants latiaux qui sont prêts à tout pour écouler la drogue en Europe et en Amérique via l’Afrique. Et dans cette guerre des gangs, le contrôle partiel ou total de l’armée est un avantage comparatif énorme. Dans un Etat où les dealers et certains militaires font bon ménage, il n’est pas superfétatoire d’avancer que l’instauration d’une démocratie militaire est plus urgent que des élections libres et transparentes qui porteront un « civile propre » au pouvoir.

La conséquence immédiate de cette situation est l’indiscipline rampante qui mine l’armée guinéenne. Et le Président Dadis lui-même n’a pas échappé à cette constance. En ‘bondissant’ sur le pouvoir il n’avait pas tenu compte du niveau d’éducation de ses troupes. La maladie de l’ancien chef, Lansana a effrité le mythe sinon la peur qui auréolait l’armée dans les imaginaires. Il ya une sorte d’hyperbolisation de l’armée. Déjà les opposants de Sékou Touré ont fait connaître au monde les tristement célèbres geôles du camp Boiro. D’une manière ou d’une autre l’armée guinéenne imprègne la société entière et lui imprime sa vision du monde. De Sékou Touré à Dadis Camara, l’ordre militaire règne à Conakry.