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lundi 24 mai 2010

La BAD et les "bad boys" de la Sorbonne du Plateau d'Abidjan


La Banque Africaine de Développement (BAD) tient ses assemblées annuelles à Abidjan en Côte d'Ivoire du 24 au 30 mai 2010. Les préparatifs de cet évènement ont démarrés avec entre autres, l'assainissement de l'espace public, y compris la Sorbonne qui, malheureusement pour les autorités municipales du Plateau résiste.






La Côte d'Ivoire se prépare


Le 19 septembre 2002, la Côte d'Ivoire est entraînée dans un conflit militaro-politique dont les conséquences sont énormes. En plus des victimes humaines (décès, blessés, etc.), l'économie prend un grand coup d'arrêt. Les institutions financières qui ne supportent pas les bruits de bottes se renferment et, certaines dont la BAD, se retirent de la Côte d'Ivoire. La raison est simple : l'argent n'aime pas le bruit.

Le gouvernement Ivoirien tente de faire revenir la banque par des opérations de charme. De nombreuses missions sont envoyer en Tunisie pour lui donner toutes les assurances dans le but de la faire revenir. Elle traîne les pas. Les efforts de la Côte d'Ivoire sont récompenser. M. Kabéruka, premier responsable de la banque décide d'organiser les prochaines assises de l'institution à Abidjan.

Les autorités ivoiriennes jubilent. Tout le monde se mobilise. Abidjan fait sa toilette. Les communes qui sont en première ligne de l'événement sont particulièrement sollicitées. Il s'agit de Cocody et du Plateau. Mais au-delà de ces deux communes, toute la ville vit au rythme de cette activité. Et la première opération, la plus visible est le nettoyage de l'espace public. L'objectif ici est de débarrasser Abidjan de sa laideur sous toutes ses formes. Ainsi, mendiants, indigents, personnes atteintes de démence, commerces anarchiques, vendeurs à la sauvette, etc. sont repoussés. Des actions musclées de déguerpissement sont organisées pour donner aux rues leur plus belle et fière allure. Les commerces anarchiques sont saccagés tandis que les rues sont curées et "revêtues" de panneaux publicitaires géantes qui chantent les bienfaits de la BAD. Les médias également s'y mettent. C'est dans ce contexte que le Maire du Plateau décide lui aussi de débarrasser sa commune de ces indésirables au nombre desquels se trouve la Sorbonne.


La Sorbonne, une citadelle inexpugnable ?


L'opération de déguerpissement des commerces anarchiques s'est étendue aux cités universitaires de Mermoz et de la cité rouge. Or ces espaces sont réputés pour être des zones qui échappent au contrôle de la mairie du fait des franchises universitaires mais surtout de l'ombre de la Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI). Mais contre toute attente, le vendredi 21 mai, les alentours de Mermoz, notamment la voie qui longe l'entrée contiguë à Ocean Ogilvy en allant à l'Institut Goethe est débarrassée de ses petits travailleurs du secteur informel : ateliers de coiffure, magasins de vente de matériels bureautiques, restaurants, etc. Bref, les cités sont mises au pas.

Mais la Sorbonne pose une farouche résistance. Le lundi 24 mai, les agents de la police municipale commis à l'opération de déguerpissement sont repoussés par les Sorbonnards qui, depuis quelques temps les attendaient de pieds fermes. L'effet de surprise escomptée par le Maire Akossi Bendjo n'a pas porté ses fruits. "L'assaut" a été donné tôt le matin autour de 7 h. Et de surcroit le lundi de Pentecôte, jour férié. L'environnement se prédisposait donc a cette action. Non seulement le Plateau n'est pas fréquenté ce jour, ce qui aurait pour conséquence de fournir aux Sorbonnards des renforts de fortune par la présence des personnes qui constituent leur auditoire habituel mais, il ne serait pas bienséant d'offrir aux visiteurs et autres travailleurs le spectacle désolant du Plateau transformé en champ de bataille. Pis, le Maire craint un ralentissement de l'activité économique au coeur de la capitale administrative des communes de Côte d'Ivoire.

L'opération échoue. Le maire rumine sa déception. Elle est d'autant plus grande que depuis quelques temps, il a, sur la base des prérogatives attachés a son statut, "réquisitionné" les forces de l'ordre, notamment la police pour l'appuyer dans son projet. Mais mal lui en a pris. La police n'a pas envoyé des éléments pour l'aider. Ses hommes, dépourvus d'armes de maintien de l'ordre et de la formation requise sont mis en déroute par les hommes de Nadaud Clément et de Dakoury Richard respectivement Président de la Sorbonne Solidarité et de la Sorbonne originelle. Le premier est du reste blessé lors de l'intervention des agents municipaux. Le Maire explique sa déception et son amertume à OUNCI-FM et à RFI qui relais l'information. Mais il se promet de laver cet affront en se jurant de déloger ses locataires illégaux quelque soit le temps que prendra cette action.


Les enjeux du déguerpissement


La tentative de déguerpissement du lundi de Pentecôte est la énième d'une longue série engagée par le Maire du Plateau. Depuis toujours, le premier magistrat de cette commune s'est juré de dompter cet espace qui lui résiste. Pour lui le déguerpissement s'inscrit dans le cadre du programme de rénovation et de valorisation de l'espace du Plateau. La Sorbonne est ici considérée comme l'une des plaies qui défigure la commune. Elle est le symbole d'une tentative de ghettoisation de ce haut lieu des affaires qui n'a que faire de l'écume sociale.

Mais derrière le rideau de projet de développement, se cache des enjeux hautement politiques. Le Maire du Plateau appartient à l'écurie politique de Henri Konan Bédié, Président du Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI). C'est le plus vieux des partis qui animent le champ politique ivoirien et, depuis les élections de 2000, il a basculé dans l'opposition. La polarisation politique s'est renforcée avec la crise du 19 septembre 2002.

En effet, depuis ce jour, la Sorbonne a connu un changement qui a profondément modifié son fonctionnement. Comme nous le disions dans un précédent article, cette guerre a favorisé non seulement l'éclatement de la Sorbonne (qui a été purgé des autres animateurs proches des autres partis concurrents au Front Populaire Ivoirien (FPI), le parti du Président Laurent Gbagbo), mais il a été un catalyseur d'un double mouvement. L'entrée en force des jeunes dans l'espace politique mais surtout un enrôlement de ces derniers dans les espaces de libres expressions qui se sont dupliqués sur toute l'étendue du territoire national. Les jeunes, proches du Président de la république ont fabriqué sur le modèle de la Sorbonne d'autres espaces communément appelés "parlements" ou "agoras" pendant que, un ancien Sorbonnard (surnommé Recteur) enrôle les traditionnels "grins" dans le sillage de l'opposition, notamment le Rassemblement Des Républicains (RDR) de Alassane Dramane Ouattara.

Le déguerpissement de la sorbonne est donc une action d'opposition de perceptions divergentes. Pour le Maire, les assises de la BAD lui offre l'opportunité rêvé de mettre fin au règne des Sorbonnards en privant le Président Gbagbo d'une de ses bases stratégiques auprès des jeunes et des populations défavorisées (les commerçants qui se "débrouillent" à la Sorbonne). Gbagbo est considéré par ce dernier comme le protecteur de cet espace. C'est aussi une occasion pour le Maire de pousser le Président dans son propre piège. Mesurant toute l'importance qu'un retour probable de la BAD est souhaitée par le Président, il est presque certain que ce dernier n'hésitera pas à se débarrasser de ses protégés pour réaliser ce projet. Pour satisfaire cet allié économique et diplomatique, le sacrifice de cet espace n'est pas de trop. Et puis, si le Président veut être logique avec lui-même, il ne peut pas ordonner le nettoyage de la commune de Cocody sans réclamer celle du Plateau qui abrite le siège de la BAD situé à quelques pâtées de la Sorbonne.

Les assemblées annuelles sont circonstancielles alors que les activités sont pérennes et se tiennent au Plateau. De ce fait, la même rigueur doit être appliquée tant à Cocody qu'au Plateau. L'occasion est donc belle pour se débarrasser de ces encombrants et indésirables locataires et pour fragiliser un adversaire politique. En "fermant la Sorbonne il brise le symbole de la résistance traduite par les espaces de libres expressions. Mieux, il signe l'arrêt de mort des autres espaces qui "troublent" le sommeil des autres Maires adversaires du FPI. Ce geste peut donner des idées (et du zèle) au Maire d'Abobo qui se bat depuis longtemps avec le "Tout Puissant Congrès d'Abobo", pour ne parler que de ce cas.

De leur côté, les Sorbonnards sont prêts a en découdre avec le Maire. Ils perçoivent la tentative de déguerpissement comme la violation du gentlemen agreement signé entre les deux parties il ya quelques temps. En substance il existerait un pacte de non agression entre les deux. La Sorbonne doit continuer ses activités jusqu'à ce qu'à la fin du conflit du 19 septembre 2002, tout au moins après les élections présidentielles prochaines. Pour eux, le Maire veut profiter des assemblées annuelles de la BAD pour liquider un partenaire embarrassant. Mais c'est mal connaître la ténacité des Sorbonnards qui ont décidé de se battre pour défendre chaque bout de terre d'un lieu qui fonctionne comme un espace de résistance politique mais aussi économique.

La résistance est d'autant plus farouche que depuis la marche du 26 janvier 2010, les jeunes de l'opposition, surtout du RHDP commence à grignoter sérieusement une grande parcelle de la rue considérée comme chasse gardée des jeunes du parti au pouvoir. Le leader de la galaxie patriotique , Charles Blé Goudé, n'a pas manqué de le rappeler d'ailleurs. De ce fait, il n'est pas question, pour les Sorbonnards de céder aux injonctions politiciennes du Maire. En tout cas la BAD a rencontré des "bads boys". En face d'elle des jeunes gonflés à bloc qui veulent s'adonner à de véritable jeux de démonstrations de force. D'un côté c'est pratiquement à genoux qu'on a obtenu le report de la marche des jeunes du RHDP pour obtenir l'organisation des assises de la base dans la sérénité et de l'autre côté, le Maire du Plateau se heurte à l'intransigeance des Sorbonnards qui refusent de céder leur espace. Les jeunes qu'on peut qualifier d'enfants terribles ou "bad boys" du jeu politique en Côte d'Ivoire donnent, par la force, leur livre blanc de revendications à leurs aînés de la BAD.

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