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jeudi 3 avril 2008

Presse écrite en Côte d'Ivoire : entre éducation sexuelle et érotisme


Depuis le début des années 2000, la presse écrite ivoirienne connaît son deuxième printemps. Une dizaine d'années après la libéralisation des médias le 30 avril 1999, le champ médiatique de la Côte d'Ivoire enregistre l'émergence d'une presse écrite spécialisée dont le sujet principal est le sexe. Les buralistes et les autres vendeurs à la criée proposent à leur potentielle clientèle des journaux au nombre desquels on trouve ''Heat'', ''Journal Intime'', Ivoire-Vedette'', ''Réalités'', ''Vibration'' et ''Dagbè''. Leur tirage oscille entre 4.000 (Vibration, N° 013 du jeudi 14 janvier 2004), 1.000 (Heat, N° 054 du mercredi 25 juin au mardi 01 juillet 2003) et 15.000 exemplaires (Journal Intime N° 0010 du 05 au 11 juin 2003. Ces journaux sont vendus à des coûts qui varient entre 200 et 500 F.CFA.

L'objectif de cette presse est de participer à l'épanouissement d'une société qui aborde, sans gants, tous les sujets. En effet, « c'est pour cette raison que nous avons décidé de faire de la BD adulte pour permettre aux lecteurs de rêver, d'aller là où les photos ne peuvent aller, c'est-à-dire au-delà de la réalité et surtout de fantasmer » soutient Illary G. Simplice, Directeur de Publication en Chef de Journal Intime. Il s'agit donc, pour les promoteurs de cette presse de construire et de diffuser de nouveaux imaginaires sexuels dans le corps social ivoirien ou de modifier ceux qui existent déjà. D'ailleurs, Illary G. Simplice renchérit ses propos en ces termes « c'est cela notre travail, contribuer modestement à l'émancipation sexuelle des uns et des autres, sans plus ».

Ces journaux sont illustrés par des bandes dessinées et de nombreuses photographies. Ces images présentent des femmes et des hommes qui sont dans leur plus simple appareil. Des rubriques comme ''cœurs à prendre'', ''correspondance'', ''âme sœur'', plus interactives, permettent aux lecteurs de se rencontrer pour échanger. Les courriers de ces derniers sont une véritable catharsis car ils leur permettent de mettre au grand jour les expériences sexuelles inavouées qu'ils ont vécues. Dans le N° 006 du vendredi 14 février 2003 de ''Heat'', une lectrice témoigne « J'ai tellement honte de ce que j'ai fait, même si c'était pour une bonne cause, que j'éprouve le besoin de me confier, fusse à un journal tel que le vôtre dont, certes, je n'affectionne pas le contenu mais qui, au moins, ne me fera pas la leçon de morale de la presse féminine ». Dans les lignes de ces journaux, une rubrique de conseils donne la possibilité aux journalistes de jouer le rôle de conseillers matrimoniaux et, à l'occasion de consultants en sciences médicales. Les pages sont traversées d'annonces publicitaires et de messages de lutte contre le SIDA et les infections sexuellement transmissibles.

Entre décembre 2003 et janvier 2004, ces journaux sont mis sur la sellette pour attentat à la morale publique. Une pétition plainte signée par plus de 3.000 personnes est introduite auprès du Procureur de la République. Des organisations parmi lesquelles le collectif des ONG de lutte contre le SIDA, le Réseau ivoirien des organisations féminines, les cadres catholiques et des musulmans traduisent en justice ''Heat'', ''Réalités'' et ''Journal Intime''. Pour une septuagénaire, membre de l'une de ces organisations, « La Côte d'Ivoire est gâtée ».

Excepté ''Heat'' qui offre une farouche résistance à ces attaques, tous les autres journaux ont disparu. Le dernier sur le marché tente d'être « correctement » vendable. Il est distribué sous cellophane, protégé, à l'abri des ''voyeurs''. Cependant, pour mieux se positionner sur le marché, il a revu son prix à la baisse. De 500 F.CFA en 2003, il est passé à 200 F.CFA en 2007 en conservant le même nombre de pages. En parcourant le produit (nouvelle version) de M. Assi Amédée A., on a l'impression de lire simultanément ''Heat'' et ''Dagbè''. Tel un sphinx, ''Dagbè'' renaît de ces cendres en occupant la moitié de ''Heat''. Stratégie commerciale oblige. On remarque toutefois l'apparition de la rubrique ''VTT'' c'est-à-dire Véronique Tout Terrain.

Derrière le conflit qui a éclaté entre les journaux à caractère érotique et les associations religieuses, se profile le positionnement d'une presse iconoclaste qui vient grignoter sa place dans l'espace public. Loin des journaux classiques qui bombardent les lecteurs avec des informations d'ordre économique et politique, ces astérix de la communication s'opposent en dessous de la ceinture pour s'imposer dans les cœurs et les esprits. Le front morale et spirituel ériger pour bloquer leur ascension peine à les contenir.

Les ivoiriens sont tous des médiascapes au sens appaduraien du terme. Le développement des médias électroniques comme Internet et ses nombreuses applications facilite la circulation d'informations qui irriguent la base de données des acteurs du sexe. La préparation d'un journal est d'autant plus facile que le promoteur réussi à se doter d'un ordinateur et d'une connexion. Les images et les textes captés ailleurs s'agrègent à ceux produit localement pour donner naissance à un journal.

Le phénomène de circulation circulatoire de l'information est d'ailleurs saisissant dans la presse de sexe. Les mêmes expériences sexuelles et les mêmes photographies circulent entre les rédactions. Certaines histoires narrées par des lecteurs ivoiriens ne sont que des copies d'expériences habillement substituer dans des revues occidentales comme ''Union'' et ''Playboy''. C'est la foire au ''couper-coller'' ou ''couper-modifier-coller''. Les homologies entre le N° 013 de''Vibration'' du 14 janvier 2004 et le N° 172 de janvier 2003 de la revue ''Union'' sont aisément identifiables. Le premier a presque entièrement réécrit le second. La photographie de la jeune femme placé au dos de la couverture de ''Union'' se retrouve à la page 2 de ''Vibration''. L'image développée à la page 3 de ''Vibration'' est tirée de ''Union'' où elle figure à la page 34. Toutes les images de ce numéro de ''Vibration'' sont tirés de cette parution de ''Union''.

La copie ne se limite pas seulement aux images entre ces deux journaux, on la retrouve dans les textes également. Les récits exposés dans le dossier intitulé ''Elles racontent leurs premières fois'' dans ''Vibration'' sont extraits de la rubrique ''Secrets de femmes'' de ''Union'' à la page 49. Mais si le courrier du deuxième est signé d'une lectrice résidant à Perpignan, le premier vient (comme par coïncidence) de Bingerville, petite ville située à quelques milles d'Abidjan. De plus, l'expérience intitulé ''Ma vraie première fois'' à la page 3 de ''Vibration'' venant d'une lectrice de Bingerville n'est que celle de Natacha, artiste-peintre de Vendée racontée de la page 39 à la page 41 de ''Union''. Enfin, toutes les lettres de la rubrique « Courrier » de ''Vibration'' à la page 11 viennent de celle de « Conseils » de ''Union'' à la page 98. Seule l'identité des personnes et leur lieu de résidence ont été modifié. Pour être plus proche du lectorat ivoirien.

On le voit, pour vendre, ces journaux imaginent ou re-copient. Le plus important est de mettre à la portée du lecteur un produit qui entretient sa libido. Dans ce jeu libidinal, le local et le global se mélangent pour créer une forme complexe de sexualité qui échappe à l'ensemble de la société. Les frontières entre la culture idéale et la culture réelle se brouillent. D'un côté, on assiste à la construction d'un nouveau type de rapport de l'ivoirien à la sexualité et de l'autre, une catégorie de journalistes dont la trajectoire professionnelle révèle qu'ils ont déjà exercés dans des journaux ''sérieux'' revendiquent le droit d'exploiter, au nom de la liberté d'expression, la filière du sexe. En le faisant ces anticonformistes bousculent un ordre moral et spirituel qui ne correspond pas au critérium établi pour observer le phénomène de la sexualité en Afrique. Ils s'invitent eux-mêmes à participer au formatage de la conscience des ivoiriens sur les sujets de l'amour, de l'altérité, et de la normalité.

Références

Fraternité Matin, N° 11.746 du mardi 6 janvier 2004

Fraternité Matin, N° 11.758 du mardi 20 janvier 2004

Ivoire-Vedette, N° 032 du vendredi 12 au jeudi 18 décembre 2003

Ivoire-Vedette, N° 39 du vendredi 30 janvier au jeudi 05 février 2004

Journal Intime, N° 001 du 20 février au 06 mars 2003

Journal Intime, N° 010 du 05 au 11 juin 2003

Heat, N° 006 du vendredi 14 février 2003

Heat, N° 54 du mercredi 25 juin au mardi 01 juillet 2003

Heat, N° 184 du mardi 09 au dimanche 15 avril 2007

Vibration, N° 013 du 14 janvier 2004

Union, N° 172 de janvier 2003

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